Mon père est ainsi mort assassiné, avec ma mère, mes quatre sœurs et mes deux frères. Pour quel crime ? Être Tutsi. Ils sont victimes d’un génocide contre les Tutsi du Rwanda.
Le Tutsicide.
Je survis quant à moi à la décapitation, deux coups de machettes m’ayant fracturé l’os du crâne. Je me vide de mon sang, mais je cours quand même.
Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms
Témoignage d’un survivant
du génocide des Tutsi du Rwanda
Mon père fut emprisonné, torturé et exilé au début des années 60. À son retour au pays, il a vécu dans la peur et l’injustice. En octobre 1990, encore la prison, puis il est tué en avril 94. Mon père est ainsi mort assassiné, avec ma mère, mes quatre sœurs et mes deux frères. Pour quel crime ? Être Tutsi. Ils sont victimes d’un génocide contre les Tutsi du Rwanda. Le Tutsicide.
Je survis quant à moi à la décapitation, deux coups de machettes m’ayant fracturé l’os du crâne. Je me vide de mon sang, mais je cours quand même.
Un militaire tire sur moi à l’arme automatique sans m’atteindre. Je m’engage encore dans une course contre la mort. Une meute de Hutu me pourchasse comme un gibier. Ils mettent le feu au buisson qui me cache. Il ne brûle pas. Ils déchaînent alors des chiens entrainés à la chasse pour qu’ils me débusquent et me dévorent. Rien n’est fait. Ils passent la forêt au peigne fin. Ils sont décidés à en finir avec moi, une fois pour toutes.
Des cadavres jonchent les rues…
Référence
Table des matières
Préface 13
Prologue 21
In memoriam 27
Naître au mauvais moment 97
La guerre 125
Le génocide 193
La fuite 293
Pas si loin de l’enfer 327
La route du retour 347
Épilogue 369
Annexe 371
Fiche technique
collection: Témoignage
octobre 2014
398 pages
Dimensions: 22 x 12 cm
ISBN: 9791093440231
Auteur(s)
Philibert Muzima
Auteur, Journaliste
Philibert Muzima est né à Kibayi-Butare dans le sud du Rwanda, il habite à Gatineau au Québec.
Ancien journaliste et cofondateur de l’Agence Rwandaise d’Information/Rwanda News Agency (ARI/RNA), il travaille actuellement pour le gouvernement fédéral du Canada. Activiste des droits de la personne en général et des survivants du génocide en particulier, il aime écrire des poèmes.
Informations complémentaires
Poids | 0,43 kg |
---|---|
Dimensions | 1,5 × 12,35 × 22,1 cm |
Auteur | |
Format | Broché |
Pages | 398 |
Couverture / Illustrations
Couverture Izuba édition
Acheter
Livraison à Kigali et/ou
e-books (formats numériques)
Fr 16 000
Livraison par coursier partout dans Kigali (sous réserve de disponibilité) ou téléchargement sur ce site
Commandes libraires et associations
Extraits
— Gérard Nyamihare (pages 88-91)
Son nom de famille signifierait « Celui qui a de la force ». C’est ainsi que mon père nous l’avait expliqué. Gérard est né en 1981. Pas très doué à l’école. Je me souviens que lors de la proclamation des résultats d’examen qui se faisaient en public, les élèves étaient en ligne par ordre d’excellence, le premier de la classe se plaçant devant, le dernier, à la toute fin.
Notre petit Gérard était à l’avant-dernière place. Son camarade, qui avait obtenu la moins meilleure note de toute la classe était au dernier rang et devait « tirer la queue », comme on dit chez nous. Mais ce petit dernier réservait une fort désagréable surprise à mon frère Gérard. Le jour J, il commit l’irréparable affront de ne pas se présenter à la proclamation des résultats. Mon frère se retrouva de facto à tirer la queue!
Sa sœur Kayange fut témoin de cette déconfiture et s’en donna à cœur joie en rentrant à la maison où elle racontait à qui voulait bien l’entendre que Nyamihare avait été le dernier des derniers, yakuruye ikirizo. Gérard se défendait avec acharnement du haut de ses dix ans, mais plus il se justifiait, plus nous éclations de rire. Pour lui, la différence entre l’avant-dernière place et la dernière place était, de toute évidence, cruciale. C’était donc très injuste de le traiter de dernier, puisqu’il ne l’était pas. Il était l’avant-dernier !
— Celui à qui revenait la dernière place a été absent, je me suis retrouvé sans personne derrière moi et c’est comme ça que Kayange ne pouvait pas voir la place vide qui était dernière moi, elle a cru que c’était moi le dernier !
Nous, nous étions au secondaire ou nous l’avions fini et la vue de ce petit bout d’homme défendant sa vérité avec autant d’insistance et d’assurance nous amusait énormément.
L’affaire d’ailleurs ne pouvait pas en rester là. Le petit Gérard attendit la fin des vacances pour régler ses comptes avec ce camarade dont l’absence l’avait couvert de ridicule. Dès le premier jour, Gérard lui mit le grappin dessus et une bagarre éclata. Lorsque l’enseignante est intervenue pour savoir pourquoi une bagarre venait d’éclater dans sa classe, sans ambages, Nyamihare dit à la maîtresse d’école : « C’est parce qu’il n’est pas venu à la proclamation des résultats pour occuper SA dernière place. Je n’ai eu personne derrière moi ! Et tout le monde a cru que c’était moi le dernier ! Mes vacances ont été un vrai cauchemar, mes frères et sœurs n’ont pas arrêté de se moquer de moi et de m’appeler bon dernier à cause de cet idiot ! » L’enseignante, loin de se fâcher et de punir mon frère qui avait réglé le différend si violemment, éclata de rire et demanda aux deux garçons de garder la paix.
À la maison, on ne ratait jamais les pièces de théâtre qui étaient radiodiffusées les mardis, à partir de 20 h, à l’antenne de Radio Rwanda, la radio nationale. À plus de dix personnes, on se mettait tous autour de la table et notre poste radio trônait au milieu. Les plus âgés avaient droit à une chaise, les autres restaient debout négociant leur espace autour de la table. Le petit Gérard, au lieu d’être relégué à l’arrière et de risquer de ne pas très bien entendre, car lui aussi aimait ces pièces, préférait s’asseoir à même le sol sous la table et jouir de cet endroit du privilège d’une écoute directe.
On suivait tous ces pièces religieusement, car elles étaient extrêmement drôles, abordant toute sorte de sujets du quotidien. C’était des vaudevilles. Ce dont je me souviens très clairement, c’est du rire du petit Gérard qui nous surprenait constamment. De dessous la table, il éclatait de rire là où les plus grands ne trouvaient rien de drôle.
Souvent, lorsqu’on lui demandait de quoi il riait, il nous rapportait une scène ou une réplique qui avait eu lieu plusieurs minutes avant. Ses commentaires étaient uniques, enfantins bien sûr, et nous faisaient rire à tous les coups. Le petit Gérard avait une oreille très fine. Lorsque nous fredonnions une chanson de Cécile Kayirebwa, il nous arrivait souvent d’utiliser un mot pour un autre, parce que tout simplement, celui qu’elle utilisait appartenait au kinyarwanda ancien et nous était inconnu.
Nous avions donc recours au vocabulaire à notre disposition, approximatif pour l’occasion. Mais Gérard ne pardonnait pas. Il nous reprenait à tous les coups, corrigeant la prononciation fautive. Nous allions alors voir notre père ou ma sœur aînée pour qu’on nous dise qui avait raison. À force, nous avions compris que c’était toujours lui qui avait raison, et nous allions directement le trouver si nous pensions ne pas saisir les paroles d’une chanson. Il avait aussi une excellente oreille musicale et ne manquait pas non plus l’occasion de nous corriger si nos interprétations musicales n’étaient pas fidèles à l’originale.
Le 19 avril 1994, je ne sais pas par où est allé le petit Gérard Nyamihare. Lorsque les Hutus des alentours nous ont attaqués massivement, ça a été la débandade familiale chez nous. Il avait 13 ans et était le seul enfant de la famille encore à l’école primaire. Nous l’avons perdu de vue. Nous ne l’avons jamais retrouvé. Nous ne savons ni où ni à quelle date ni comment il a été tué. Peut-être le jour même. Ou le lendemain.
(…)
— Enseignant rebelle (pages 53-54)
Mon père était un parfait ambidextre. Il pouvait facilement écrire au tableau avec la même facilité tant de sa main gauche que de sa droite. C’est ainsi qu’au début des années 80 il a su se tirer d’affaire lorsque son bras droit a été paralysé. Il était alors atteint d’une maladie mystérieuse, apparemment grave.
Des maladies graves, mon père en avait déjà eu. Il avait jadis été foudroyé par la méningite, puis par la fièvre jaune qui l’avaient laissées indemne ! C’est ainsi que lorsqu’il attrapait la pneumonie – il en était d’ailleurs chronique –, il nous rassurait en nous disant qu’il n’allait pas en mourir.
— Seule la machette des Hutu me tuera et non la maladie ! nous disait-il à chaque fois que sa santé lui semblait nous préoccuper.
Mon père connaissait très bien l’histoire du Rwanda. Il adorait la lecture et nous encourageait beaucoup à lire.
— Si tu ne lis pas, tu vas mourir, nous disait-il. Le comble des malheurs est que personne ne saura que tu es mort, parce que tu seras mort-vivant.
Il refusait de transmettre la propagande à ses élèves et leur offrait une version exempte de haine. Il n’avait pas peur de déroger à l’histoire officielle. Un élève lui demanda un jour si la reine Kanjogera, que l’histoire officielle présentait comme étant d’une grande cruauté, plantait effectivement son épée sur un Hutu chaque fois qu’elle voulait se lever. Mon père en profita pour faire une démonstration intéressante.
— Si chaque fois que la reine mère veut se lever, elle tue un Hutu, voyons combien de Hutu elle aurait tués jusqu’à présent. Si elle se lève 20 fois par jour, cela fait vingt Hutu tués. La reine mère a régné trente-trois ans. Elle aurait donc dû tuer 250.000 Hutu. Sur une population de moins de trois millions de Hutu, cela représente 10 % de la population tué. Inimaginable, non ? Impossible même!
Parfois il abordait la chose sous un angle différent.
— Kanjogera est presque notre contemporaine. Elle a régné de 1898 à 1931. Ton père et vos grands-parents l’ont connue. Quelqu’un ne vous a-t-il jamais raconté la mort d’un des siens ? Connaît-on des blessés ? Des fuyards ? Des exilés ? Certains ont dû être certainement blessés ou ont dû fuir cette pratique inhumaine n’est-ce pas ? Mais où sont-ils donc ?!
(…)
— Ndoli et son parrain devenu président (page 238)
Les détonations ont à peine cessé de se faire entendre que des cris d’horreur et de douleur résonnent tout autour de nous, dans cette obscurité que seule la lune éclaire faiblement.
Nous rompons notre silence et Ndoli s’indigne que son parrain, Théodore Sindikubwabo, soit le Président de la République alors que lui passe la nuit à la belle étoile à fuir la mort.
Quelques minutes plus tard, un hélicoptère survole la colline et Damascène ajoute : « Tiens, Ndoli, c’est peut-être ton parrain qui vient te chercher ! ».
Dr Sindikubwabo était un médecin très apprécié à Butare. Comment a-t-il donc pu accepter de se mettre à la tête d’un gouvernement génocidaire et du haut de cette instance appeler, dans un discours prononcé dans son fief natal, les Hutu à exterminer les Tutsi ?
« Un homme honnête qui devient un criminel, surtout s’il trouve de bonnes raisons pour justifier sa conduite, est peut-être plus haïssable qu’un vaurien ou qu’un assassin professionnel.»
(…)
— Mukansanga et moi, l’amour est dans la boue (pages 236-238)
Nous sommes pratiquement emboîtés les uns dans les autres, le creux. du fossé nous obligeant à recroqueviller nos jambes et à nous mettre presque en travers de la fosse.
Mukansanga veut me parler. Elle tente de se retourner, mais l’espace ne le lui permet pas. Elle est obligée de déplacer ses jambes, les mettant au-dessus des miennes afin de se retrouver face à moi. La chaleur qu’elle dégage éveille subitement en moi les idées les plus folles et les plus déplacées dans les circonstances qui sont les nôtres.
— Dedi, ne m’abandonne pas, chuchote-t-elle à mes oreilles.
Dedi, c’est moi. C’est comme cela que m’appelaient tous ceux qui me connaissaient bien à Mugombwa.
— Je t’en prie, poursuit-elle. Je veux qu’on reste ensemble. Si on doit mourir, qu’on meure ensemble ; et si on survit, qu’on soit encore ensemble.
Je la serre très fort contre moi et lui promets de ne jamais la laisser. Je lui dis qu’on ne mourra pas.
— Alors si on ne meurt pas, lui dis-je, promets-moi de ne jamais me quitter.
Je caresse le corps callipyge de la jeune femme et j’ai envie d’elle, là, tout de suite. Lentement, ma bouche se colle à la sienne et nous nous embrassons d’un baiser tendre qui nous fait oublier, l’espace d’un instant, qu’on est en train de nous massacrer et que la mort est là, tout autour de nous.
Mais la mort doit attendre.
(…)
On en parle
Rencontre littéraire à KPL: Philibert Muzima, «Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms», Izuba Information, 8 août 2024
Commentaires