Livre hybride, Rwanda de ma jeunesse met en lumière des pans méconnus de l’histoire du Rwanda. Le récit autobiographique de l’auteur donne chair aux évènements et aux protagonistes qui ont marqué l’époque charnière des premières années de la première République rwandaise. La reprise de l’œuvre généalogique du Père Léon Delmas permet d’appréhender l’histoire du Rwanda dans sa profondeur.
Livre hybride, Rwanda de ma jeunesse met en lumière des pans méconnus de l’histoire du Rwanda. Le récit autobiographique de l’auteur donne chair aux évènements et aux protagonistes qui ont marqué l’époque charnière des premières années de la première République rwandaise. La reprise de l’œuvre généalogique du Père Léon Delmas permet d’appréhender l’histoire du Rwanda dans sa profondeur.
Le Père Léon Delmas (1879-1950) est arrivé au Rwanda en 1905 et, entre 1940 et 1950, il a vécu à Nyanza, à la Cour du Mwami Charles Mutara III Rudahigwa. Il a alors entrepris de faire la généalogie des chefs et sous-chefs qui fréquentaient la cour royale. Il en est résulté un ouvrage irremplaçable, mais difficile d’accès, le Père Delmas étant sur le point de mourir lors de sa rédaction finale, de sa révision et de sa publication.
Le présent livre est issu de cet ouvrage, mais il n’en est aucunement une réédition. Il donne une forme inédite et accessible aux généalogies des lignées qui ont forgé l’histoire rwandaise.
La mise en parallèle de la vision de l’auteur et de celle du Père Delmas fait ressortir, en particulier, le fait que les clans qui ont joué un rôle si important dans l’histoire du Rwanda jusqu’au renversement de la monarchie ont été à ce point effacés de la mémoire officielle qu’un « muzungu » comme l’auteur a pu fréquenter régulièrement le Rwanda à partir de 1964 et même donner des cours sur l’histoire du Rwanda au collège Saint-André sans jamais avoir eu une idée précise de ce qu’étaient ces clans jusqu’au moment où il a entrepris de « passer au travers » de l’ouvrage aride du Père Delmas.
Il ressort de cet exercice une vision plus englobante de l’histoire du Rwanda où le passé et le présent s’interpénètrent et s’éclairent mutuellement.
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Propos liminaires
Toute la littérature coloniale est piégée par les préjugés de son époque et la certitude pseudoscientifique qui la traverse : l’existence de races distinctes naturellement hiérarchisée. On sait aujourd’hui qu’il n’y aucun fondement à cette fable et que sa justification historique fut simplement la raison du plus fort.
Au Rwanda la justification de l’ordre colonial s’est appuyée sur ce poncif, et le colon a réorganisé la société locale en fonction d’un autre fantasme qu’il a lui-même forgé : l’existence de trois races distinctes structurant les rapports sociaux entre Rwandais.
L’ouvrage du Père Léon Delmas n’échappe pas à l’esprit de son époque. Son premier chapitre, « Généralités sur le Rwanda » s’ouvre par un développement sur Les races au Ruanda : « On distingue trois races : les Batwa, les Bahutu, les Batutsi ». Cette phrase est ânonnée, comme un exergue génésique, dans la quasi-totalité des textes qui ont été écrits sur le Rwanda non seulement pendant la période coloniale, mais aussi bien après, à ceci près que le mot « race », devenu indigne, a été remplacé par celui d’« ethnie » après la Seconde Guerre mondiale et le génocide perpétré contre les juifs qui l’a accompagnée.
Née de la plume de journalistes explorateurs à la fin du XIXe siècle, la distinction entre Batwa, Bahutu et Batutsi a complètement façonné le regard des colons, militaires, civils et religieux, qui ont projeté cette idéologie simpliste sur une société complexe.
Les missionnaires ont adopté ce préjugé et ont jeté leur dévolu sur la « race tutsi », qu’il fantasmait comme supérieure. La stratégie, dûment codifiée par la société des Missionnaires d’Afrique, prenait pour principe d’évangéliser les élites pour conquérir les peuples. Le petit peuple fut identifié comme hutu et ses marges, jugées primitives, comme twa. Chaque groupe fut affublé de caractéristiques physiques, intellectuelles et morales distinctes et la domination des Tutsi fut interprétée comme un ordre naturel.
Mgr Classe, qui fut à la tête de l’Église catholique du Rwanda de 1912 à 1945, a été la cheville ouvrière de ce phantasme et de sa matérialisation dans le pays. Lorsque les Belges prirent le relais des Allemands en tant que puissance coloniale, le premier prélat fut leur conseiller en matière de gouvernance et aucune décision ne fut prise sans son aval. Le pays fut réformé et ordonné selon la vision racialiste de son vicaire et l’attribution d’une identité raciale marqua désormais le destin des Rwandais.
Les mots « tutsi », « hutu » et « twa », ne sont pas une invention coloniale ou missionnaire. Ils existaient avant la funeste domination européenne sur le Rwanda, mais n’étaient pas des marqueurs identitaires. Jamais, dans l’histoire précoloniale, un Rwandais ne mentionnait l’un de ces mots lorsqu’il déclinait son identité : les seuls termes utilisés étaient les noms de ses aïeux, de son clan, de son lignage et de sa colline.
Dans toutes les langues bantoues, le mot « hutu » connotait soit la pauvreté, soit un rapport entre deux personnes. « Être le hutu de quelqu’un » signifiait « être au service de cette personne », comme le montre l’expression « je ne suis pas le hutu de ton père ». Chacun pouvait être le « hutu » d’un autre en étant son obligé, et seul le Mwami n’était le hutu de quiconque. Le sens du mot « tutsi » a évolué et pris plusieurs sens : s’il a pu connoter une proximité à l’égard de la cour, le mot imfura pouvait aussi bien qualifier ce rang, et s’il a pu être associé à la possession de vaches, c’est tout simplement parce que la vache était un symbole de richesse. Quant au terme « twa », il était le seul mot à désigner un groupe défini, à la fois marginalisé, mais aussi intégré, notamment à la cour, où certains de ces membres occupaient les fonctions de maître de ballet, danseurs, espions ou hommes de main du Mwami.
En d’autres termes, les mots « hutu », « tutsi » et « twa » ne définissaient pas originellement des identités, mais des rapports sociaux qui, en tant que tels, étaient susceptibles d’évoluer. L’identité de chacun ressortait de son clan et de son lignage et il n’y a nulle raison de s’étonner que l’on pu être qualifié de « hutu » ou de « tutsi » sans que cela eût de valeur identitaire avant la colonisation.
Le Père Delmas a évolué dans un contexte où la société rwandaise avait été réformée selon ces critères raciaux et où cet ordonnancement inédit était projeté comme immémorial. Il est donc logique que cette vision imprègne son œuvre. Néanmoins, le contenu de son ouvrage contredit cette vision, car les généalogies qu’il décline sont ordonnées selon des principes claniques et non raciaux. Si le titre de son ouvrage — Généalogies de la noblesse (les Batutsi) du Ruanda — devait être ajusté à son contenu effectif, il pourrait s’intituler « Généalogies des lignages fréquentant la cour du Mwami du Rwanda ».
« Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde » écrivait Albert Camus. Ne pas décrire le Rwanda et les Rwandais de manière factuelle et avec les mots qu’ils utilisaient eux-mêmes pour relater leur histoire et leur vision du monde a été le péché originel de toute la littérature coloniale et postcoloniale sur ce pays.
En reprenant le travail généalogique du Père Delmas, Luc-Normand Tellier s’est ainsi attaché à trouver des mots plus justes pour en restituer la teneur.
Qu’il en soit remercié.
— Izuba édition
Référence
Table des matières
Note liminaire … 7
Partir dans le brouillard …9
Shyogwe ….13
Un passé récent si vite oublié …. 19
Kigali …. 23
Rumeurs d’invasion …29
Rosalie Gicanda et Alexis Kagame …39
L’abbé-baron Réginald Greindl … 49
Dominique Mbonyumutwa ….. 57
Étienne Rwigemera ….67
Sœur Jean-Marie-Vianney …. 77
Landoald Ndasingwa ….83
Prosper Bwanakweli …95
Célestin Marara Kalibana … 103
De l’Âge d’or du Rwanda au « calcul » génocidaire ….. 113
Les contributions du Père Delmas et de la génétique ….. 123
Regrets et nostalgie …. 129
Bibliographie …..135
Annexes ………. 141
Annexe A : Rois et reines-mères du Rwanda ….142
Annexe B : Hiérarchie et composition des clans ….. 145
Annexe C : Répartition des chefs et sous-chefs entre les clans en 1942 et 1947-1948 …149
Annexe D : Origine des clans … 151
Annexe E : Cartes du Rwanda, 1955 …153
Annexe F : Territoires et provinces de la résidence du Rwanda, 1947-1948 … 157
Annexe G : Liste des provinces, des sous-chefferies, des chefs et des sous-chefs, 1947-1948 … 159
Annexe H : Index généalogique et prosopographique …..183
Index du livre … 357
Fiche technique
Auteur: Luc-Normand Tellier
Titre: Rwanda de ma jeunesse
Sous-titre: En hommage au travail du Père Léon Delmas
Izuba édition
Janvier 2024
ISBN: 9791093440507
Prix: 20 euros / 20 000 FRW
Auteur(s)
Premier citoyen canadien à avoir habité et travaillé à Kigali, Luc-Normand Tellier a enseigné au Collège Saint-André de Kigali de 1964 à 1966, puis, pour de courtes périodes, à l’Université nationale du Rwanda en 1977 et 1978.
Détenteur d’un doctorat en science régionale de l’Université de Pennsylvanie située à Philadelphie, il est le fondateur du département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal et l’auteur de plusieurs livres et d’articles scientifiques publiés dans les grandes revues internationales.
En 2012, il a reçu le titre de professeur émérite de son université.
Informations complémentaires
Pages | 386 |
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Auteur |
Couverture / Illustrations
Mise en page de la couverture: Bertrand Mugabe;
Postproduction, Jules Toulet
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Extraits
Note liminaire
Ce livre est issu d’une rencontre entre un ancien professeur du collège Saint-André de Kigali à qui l’abbé André Postal, directeur du collège en 1964-1966, avait demandé de donner un cours sur l’histoire du Rwanda, et un livre, celui du Père Léon Delmas sur la noblesse rwandaise, qui, malgré ses multiples imperfections dues à la hâte avec laquelle il a été publié en 1950, ouvre les yeux, à la fois, sur l’incroyable concentration du pouvoir dans les mains d’une très petite minorité de Rwandais dans les années 1947-1948, et la beaucoup plus grande symbiose des divers groupes constituant la société rwandaise de l’époque que ne le laissait croire l’obsession du clivage Tutsi-
Hutu qui obnubilait la plupart des acteurs politiques et des observateurs étrangers au 20e siècle.
Pour bien saisir ces dimensions, le lecteur est invité à consulter dès maintenant les annexes qui se trouvent à la fin du livre. Après l’avoir fait, il pourra tirer le meilleur profit du récit autobiographique qui suit, récit où plusieurs noms de lieux renverront à l’annexe G (par exemple, la cote KIG204 renvoie à la colline de Giti située dans la province du Buganza du Nord-Ouest du territoire de Kigali) et plusieurs noms de personnes renverront à l’annexe H (par exemple, la cote « 308 Bega-Gaga-Kagara » renvoie à la reine mère Kanjogera qui fait partie du sous-clan des Bega-Gaga-Kagara et qui figure au rang 308 des membres du clan des Bega, les clans étant classés dans l’annexe H selon l’ordre alphabétique). L’annexe H est directement issue du travail essentiel du Père Léon Delmas, bien qu’on y trouve plusieurs additions, mises à jour et corrections.
(…)
Mise en garde
Ce livre est ouvertement marqué par la vision du Père Delmas à l’époque de la colonisation. Dans cette vision, le clivage Tutsi-Hutu-Twa précède la formation des clans et ces derniers tirent leur origine soit des Tutsis, des Hutus ou des Twas. Cette interprétation qui racialise des catégories socioprofessionnelles est radicalement remise en question par des recherches affirmant que la distinction Tutsi-Hutu-Twa est nettement postérieure à l’apparition des clans et que ces derniers ont, dès le début (au cours du premier millénaire de notre ère), réuni des ancêtres, à la fois, de ceux qui seront, plus tard, identifiés au Rwanda comme Tutsis, Hutus ou Twas. Ainsi, les clans existant au Rwanda existent aussi chez ses voisins du Nord (Bunyoro, Ndorwa, Ankore, Mpororo, Karagwe, Toro et autres) alors que les termes
Hutu et Tutsi n’y existent pas.
(…)
On en parle
À venir…
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