Extraits

Préface

Le présent ouvrage, dont il m’échoit d’écrire la préface, est le fruit du même esprit que celui qui a donné naissance et fait vivre le Collège Saint Albert.

Convaincus de l’importance essentielle d’une instruction sérieuse pour affronter les problèmes de la vie, de jeunes diplômés universitaires ont accepté, bénévolement et dans des conditions matérielles très dures, de consacrer à leurs jeunes frères en exil une, deux, voire même trois années ou plus, pour leur assurer une instruction secondaire de qualité.

L’exemple de leur sacrifice a convaincu les bénéficiaires et leur a insufflé l’ardeur nécessaire pour acquérir les connaissances voulues, selon les capacités de chacun, et pour accepter, eux aussi, les conditions matérielles pénibles qui devaient être imposées à tous.

On n’avait pas le choix !

Les témoignages rapportés à la fin de cet ouvrage disent en suffisance le bon esprit qui animait les jeunes concernés.
Le présent ouvrage relate cette expérience extraordinaire de solidarité humaine, de ses origines dans les années 60 à sa fin en 1994. Sa composition a requis elle-même des auteurs un labeur indéniable et gratuit. Nous espérons que par lui l’esprit de Saint Albert trouvera le chemin des cœurs et inspirera la conduite des générations nouvelles.
De 1963 à 1994, le Collège est passé par trois étapes qu’il était important de dégager pour en tirer les conséquences significatives.

D’abord un essor remarquable (1964 – 1979), puis une période de déclin (1980 – 1987), enfin un sursaut courageux qui donna naissance à une réalité nouvelle, plus diversifiée, incluant aussi des formations professionnelles ainsi qu’une vie socio-culturelle et sportive plus intense, avec dans cette troisième étape l’excitation du retour au pays perçu comme imminent (1987 – 1994).

Il était utile de montrer que l’enlisement qu’aurait pu provoquer la crise avait été écarté et comment il l’avait été. Une vraie leçon de vie pour ne pas baisser les bras dans les situations conflictuelles et pour réagir en remédiant aux causes délétères. En lisant ces pages, j’ai moi-même mieux compris encore le privilège qui fut le mien de pouvoir participer à la réalisation de ce projet humanitaire durant la tranche de ma vie où j’ai enseigné à l’Université officielle de Bujumbura (1966 – 1981).

Étant actuellement dans ma 83e année et m’approchant donc du Jour de la Rencontre, je tiens à redire tout spécialement ma reconnaissance envers la communauté du Collège Saint Albert. Y a-t-il en effet plus grand bonheur que d’aimer et être aimé!

Père Jacques Emmanuel Voisin
Ancien professeur au Collège Saint Albert
Abbaye de Saint-Rémy, Rochefort, Belgique, 2019

__________

Introduction (extrait)

Les origines lointaines du Collège Saint Albert se trouvent inextricablement liées à l’histoire tumultueuse du Rwanda depuis les débuts de la colonisation. Ce sont en effet les mythes et contre-mythes morbides caractéristiques de cette histoire qui ont provoqué les retombées tragiques longtemps occultées, mais aujourd’hui connues du monde entier : discriminations, trahisons, vols, viols, pillages, exils, meurtres de masse et, comme solution finale sanglante, le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, au su et au vu de la communauté internationale.

Lorsque, en 1853, le Comte Arthur de Gobineau eut la déplorable idée de publier son Essai sur l’inégalité des races humaines, il ne se doutait pas qu’il venait d’ouvrir un enfer sur terre qui aboutirait à la création de deux mythes funestes : le mythe aryen et le mythe hamite. De ces idéologies mortifères allaient surgir deux apocalypses : le génocide perpétré contre les Juifs et celui perpétré contre les Tutsi.

C’est l’Occident qui importa en Afrique, et au Rwanda en particulier, le délire racial de Joseph-Arthur de Gobineau. Les Tutsi du Rwanda et du Burundi se virent imposer l’étiquette de hamite avec des intentions flatteuses dans un premier temps : blancs à peau noire, intelligents, aptes au commandement, fins, beaux, civilisés et d’autres douceurs de ce genre.

Plus tard, dans la lutte pour la décolonisation, d’autres corrélats mythiques furent avancés pour les discréditer. Ils devinrent des étrangers conquérants, exploiteurs, féodaux, fainéants traditionnels, sournois, arrogants et communistes, à opposer au bon peuple hutu, honnête, travailleur, fidèle, franc et chrétien. La déchirure était consommée entre les habitants de nos pays et les tragédies qui s’en suivirent n’en étaient que la suite logique.

Le Collège Saint Albert est né de cette immense cacophonie de l’histoire. Lorsque, à l’issue de la parodie de révolution dite hutu, la Première République rwandaise envoya en exil une multitude de Tutsi, elle avait en tête qu’elle condamnait à mort cette population qui, croyait-elle, ne pouvait subsister par elle-même tant elle dépendait du travail des paysans dits bantous. Une telle conception empreinte de dénigrement faisait partie des idées fabriquées par la colonisation pour accompagner le mythe hamitique et rendre le Tutsi odieux.

La fondation du Collège Saint Albert sonne donc comme une révolte des initiateurs contre ce sort injuste infligé à leurs concitoyens de même appartenance « ethnique ». La non-scolarisation des enfants réfugiés était perçue comme une mort sociale pour cette communauté, conformément au désir de ceux qui voulaient sa perte. Or, les moyens matériels des pays d’accueil ne leur permettaient pas de scolariser ces nouveaux venus, du moins au niveau de l’enseignement secondaire. Il fallait de toute urgence trouver une solution à ce problème épineux.

Taraudé par cette question, un groupe d’étudiants rwandais dans des universités de Belgique, réunis au sein de l’Association des Étudiants Nationalistes Rwandais (AENR), initia une réflexion profonde qui aboutit à l’idée de la création d’un collège pour réfugiés rwandais. Ils communiquèrent ce rêve à d’autres associations estudiantines : celles du Congo Léopoldville (actuel RDC), du Burundi et de l’Union soviétique. Un groupe de religieux, composé essentiellement de Mgr Aloys Bigirumwami et des Frères Trappistes de Mokoto, surtout le Frère Bosco Kayonga et le Père Manès, y fut convié. Ce groupe comprit vite la situation, s’y attela et devint un appui déterminant dans la naissance du Collège Saint Albert.

(…)